Le contexte
En juin 2018, nous vous faisions part d’une décision importante du Tribunal des droits de la personne (ci-après le « Tribunal ») concernant le traitement distinct accordé aux étudiants de l’Aluminerie de Bécancour (ci-après l’« Aluminerie »).
Par cette décision, le Tribunal accueillait une action en dommages-intérêts intentée par la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, estimant que le travail accompli par les étudiants embauchés à l’Aluminerie était équivalent au travail effectué par les salariés réguliers et occasionnels. Plus particulièrement, le Tribunal concluait que les étudiants, en recevant un traitement inférieur à ces groupes d’employés sans justification au sens de l’article 19 de la Charte des droits et libertés de la personne (ci-après la « Charte québécoise »), faisaient l’objet de discrimination en raison de leur condition sociale et de leur âge. Vous pouvez consulter notre résumé de cette décision ici.
L’employeur avait porté cette décision en appel devant la Cour d’appel du Québec, qui a confirmé la décision du Tribunal le 16 juin dernier.
La décision
Retour sur les conditions d’application d’un recours pour discrimination fondé sur l’article 10 de la Charte québécoise
Dans son jugement, la Cour d’appel rappelle d’abord que contrairement à un recours fondé sur l’article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés, la preuve d’une discrimination découlant de préjugés, de stéréotypes ou du contexte social n’est pas nécessaire pour soutenir un recours en vertu de l’article 10 de la Charte québécoise. Il faut plutôt démontrer trois éléments, soit :
une « distinction, exclusion ou préférence » ;
fondée sur l’un des motifs énumérés au premier alinéa ; et
qui « a pour effet de détruire ou de compromettre » le droit à la pleine égalité dans la reconnaissance et l’exercice d’un droit ou d’une liberté de la personne.
Notion de « condition sociale »
La Cour d’appel explique ensuite que la notion de condition sociale prévue à l’article 10 de la Charte québécoise, qui constitue un motif prohibé de discrimination, réfère à la position d’une personne ou d’un groupe dans la société. Cette situation peut même être temporaire. Ainsi, il suffit que la partie plaignante établisse qu’elle fait partie d’un groupe social identifiable et qu’elle subit de la discrimination en raison de son appartenance à ce groupe social.
La Cour d’appel confirme que le statut d’étudiant fait partie de cette notion et que dans le cas des étudiants travaillant à l’Aluminerie, ils ont reçu un traitement inférieur du seul fait de leur appartenance à ce groupe.
Notion de « travail équivalent » et le cas particulier des étudiants de l’Aluminerie
L’employeur a tenté d’établir que la distinction était justifiée puisque les étudiants n’accomplissaient pas un travail « équivalent ». Or, cet argument, rejeté en première instance devant le Tribunal, n’a pas été retenu par la Cour d’appel.
Celle-ci explique d’abord que les critères de cette notion d’équivalence sont les qualifications requises, l’effort nécessaire, les responsabilités assumées et les conditions de travail. La Cour d’appel constate ensuite que la preuve non contredite a établi que, lorsqu’ils accomplissent la même tâche, tous les salariés reçoivent la même formation, ils fournissent le même effort, ils assument les mêmes responsabilités et ils travaillent dans les mêmes conditions. Plus particulièrement, il a été démontré que les étudiants évoluent dans le même environnement dangereux et potentiellement toxique et sont assignés à des tâches aussi dangereuses que celles auxquelles les réguliers et les occasionnels sont eux-mêmes affectés.
L’employeur a aussi soutenu que la nature du contrat des étudiants, qui est à durée déterminée, représentait une justification à la différence de traitement sur la base de la notion de durée du service. La Cour d’appel rejette cet argument en rappelant que cette notion est liée au concept de rattachement temporel du salarié à l’entreprise plutôt qu’à la nature de son contrat d’emploi.
Conclusions
En somme, la Cour d’appel rejette l’appel et confirme les conclusions du Tribunal. L’employeur devra donc rembourser aux étudiants le salaire et les avantages dont ceux-ci ont été privés, ainsi que 1 000$ à titre de dommages moraux à chacun d’eux. Il reste à voir si l’employeur portera le dossier devant la Cour suprême du Canada. Nous suivrons l’état de la situation et vous tiendrons informés de tout développement à cet égard.
Soulignons en terminant que la Cour d’appel précise toutefois dans sa décision que le cas en l’espèce est assez particulier, notamment en raison de la nature dangereuse du travail exécuté par tous les employés de l’Aluminerie, dont les étudiants, et qu’en conséquence, les motifs de la décision sont susceptibles d’avoir un impact circonscrit. En effet, la Cour d’appel est d’avis que les emplois étudiants ne vont pas pour autant disparaître, puisque dans la majorité des cas, le travail effectué par ceux-ci n’est pas réellement équivalent et que, le cas échéant, la différence salariale sera justifiée par des considérations prévues à l’article 19 de la Charte québécoise, comme l’expérience, l’ancienneté ou l’évaluation au mérite.
Aluminerie de Bécancour inc. c. Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Beaudry et autres), 2021 QCCA 989
Conseil pratique
Malgré l’obiter de la Cour d’appel, ce jugement aura certainement un impact sur l’évaluation des emplois étudiants au sein des entreprises québécoises. Ainsi, si vos employés étudiants reçoivent un salaire inférieur aux autres salariés qui effectuent un travail similaire, nous vous recommandons de vous questionner quant à la justification sous-jacente à cette disparité pour vous assurer d’être conforme à la Charte québécoise.